dimanche 21 novembre 2010

Sortie à Saint-Emilion et Aubeterre 30 octobre 2010

Visites des églises « monolithes »
de St Emilion et d’Aubeterre sur Dronne 
Samedi 30 octobre

Chambrée : 50 personnes, correspondant à la contenance d’un bus. Temps : couvert, température extérieure : douce. Acheminement en car sur les deux sites. Pique-niques sortis des paniers de chacun. Ambiance décontractée et studieuse. Intervenant d’une grande qualité, disponible et clair dans ses propos : Jean Luc Piat est l’un des archéologues ayant travaillé sur les deux sites.

 Commentaire liminaire : 
Le terme de « monolithe » concernant ces deux églises, est impropre au regard de la sémantique. Du grec « monos lithos » («d’une seule pierre»), il tendrait à signifier qu’elles auraient été extraites de la roche d’un seul tenant et non creusées par strates avec les déblais évacués selon un plan préalablement réfléchi. Il serait plus cohérent d’utiliser les vocables « rupestre, souterraine, voire troglodyte».


Eglise rupestre de St Emilion :

« Monument unique au monde, original au plus haut degré et plein de mystères », écrivait Léo Drouyn en 1859.

La façade extérieure légère, presque riante, contraste avec la sombre « lourdeur » intérieure.
Aujourd’hui, lorsque le passant circule sur la place du marché (ancien cimetière de l’église souterraine), entre les tables des cafés et des restaurants, il ignore souvent la merveille qui se dissimule derrière le rocher ou plus précisément en son cœur. Au cours des temps troublés qui régnaient lors de son creusement, peut être a-t-on voulu la soustraire à la vue des envahisseurs désireux de piller ses richesses.
Le spectateur face au portail, assiste à une scène du Jugement dernier, thématique récurrente à St Emilion et très à la mode aux XIIIème et XIVème siècles. L’un des ressuscités, pressé de sortir de sa tombe par deux anges, expose ses fesses rondes. Des anges, au sommet du tympan, déposent une couronne sur la tête du Christ. La Sainte Vierge et Saint Jean sont agenouillés. De nombreux anges habillent les voussures où l’on imagine des Apôtres.


« Ces sculptures, surtout celles du milieu du tympan sont dégradées, mais cependant, à en juger par ce qui reste, je ne crois pas qu’on puisse en trouver de plus belles à cette époque dans le département de la Gironde », écrivait Léo Drouyn en 1840.

Qui aurait commandité les travaux de creusement ?
Aucune preuve formelle, à ce jour, ne permet de penser que Pierre de Castillon ou sa famille en soient à l’origine. Selon certains historiens, il n’y a pas de preuves tangibles que ce seigneur soit revenu vivant de sa croisade. Quand bien même cela aurait été le cas, comment aurait il pu financer ces énormes travaux alors qu’il serait revenu désargenté de cette longue et coûteuse croisade? Malgré ces arguments cohérents, la thèse, en vogue à ce jour, pencherait pour ce vicomte Pierre de Castillon, chevalier de retour de la 1er Croisade (*). C’est un seigneur puissant. Les affaires religieuses de St Emilion sont soumises à son pouvoir direct. A son retour, il aurait commandité le creusement de l’église. Il aurait influencé aussi son fils (Pierre II de Castillon) pour qu’il ordonne les travaux de l’église d’Aubeterre sur Dronne. Ces deux églises devaient abriter les saintes reliques ramenées de la Croisade par le chevalier. Il y aurait vu notamment Jérusalem, le St Sépulcre et visité des églises troglodytes. A travers ces travaux, il aurait cherché à purifier son âme car sa conduite en Terre Sainte, n’aurait pas été irréprochable. Peut être n’a-t-il pas été insensible, non plus, à l’activité économique rentable générée par la présence de ces reliques dans les deux églises fréquentées par de nombreux fidèles.

Cet ouvrage souterrain avec catacombes fut creusé entre le VIIIème et le XIIIème siècle dans une falaise de calcaire à la demande de la famille de Castillon. L’église de St Emilion aurait été exécutée rapidement (40 ans). Contrairement à la tradition chrétienne, l’autel est orienté vers l’ouest.
L’église mesure 38 m de long, 20 m de large et de 8 à 20 m de haut. Un tunnel assurait la liaison entre l’église et le clocher à travers la voûte rocheuse.
La nef et ses deux collatéraux, séparés en six travées, le tout soutenu par d’impressionnants piliers quadrangulaires à la décoration minimaliste, composent l’agencement intérieur. L’édifice a fait l’objet de travaux confortatifs importants. Des cerclages métalliques imposants consolident les piliers qui supportent les charges occasionnées par le clocher, bâti juste au-dessus de la nef. Il a fallu drainer les piliers en utilisant en partie le réseau souterrain réalisé au moment du creusement de l’ouvrage. Concomitamment, la recalcification de la roche fut entreprise. Un procédé, l’électrophorèse, en cours d’application, permettra, à terme, de redonner aux piliers leur solidité initiale. Les motifs sculptés encore visibles sont peu nombreux. Ils témoignent d’un hermétisme sévère expliquant peut être la présence dans ces lieux de l’ermite Emilion (*). Plusieurs autels construits entre la fin du XVème siècle et le XVIIIème siècle tendraient à alléger l’atmosphère oppressante perceptible.
Cet espace sombre et austère fut égayé autrefois par des peintures murales, des boiseries et des tentures comme l’attestent des restes d’enduits et de peintures, des cavités, des niches destinées à recevoir des statuettes et autres décorations, ainsi que la présence de trous de clous permettant de suspendre des tapisseries sur les différentes parois. Nous pûmes admirer ou deviner félins, dragons, chimères, centaures et autres peintures de chérubins, ces derniers, dans un style byzantin. Ces différents sujets auraient été reproduits à partir des motifs figurant sur les tissus protégeant les reliques pendant leur transport. Les deux bas-reliefs qui se font face sont sculptés de motifs à consonance zodiacale occasionnant encore des discussions animées quant à leur sens profond.
Présence d’une chambre funéraire coupée par le percement de l’église souterraine.
Le niveau du sol roman (1m à 1.5m plus bas que le sol actuel) accueille une nécropole mis en exergue par les archéologues grâce à quelques puits de vue éclairés. Nous avons pu observer, ainsi une partie du réseau de drainage initial. Les croyants souhaitaient être enterrés à proximité des reliques afin d’accéder plus facilement au paradis. Les sols des églises furent alors transformés en cimetières. Certains devinrent des nécropoles.
Présence de nombreuses tombes datées de la fin du XIème siècle-début XIIème et creusées à même la roche, notamment des « oculi » pour bébés dont le grand nombre pose question.
Une chapelle dédiée à St Nicolas (datée entre 1090 et 1140) avec autel du XVIIème siècle baigne encore dans ses peintures estompées.
Une rotonde, coupant une galerie ancienne, est décorée par 3 personnages, les bras en croix illustrant la Résurrection conformément au St Sépulcre de Jérusalem. Par l’orifice central, les croyants exerçaient le rite traditionnel de la lumière. Un autel de culte réunissait les fidèles. Présence d’un siège dont la tradition indique qu’il était supposé rendre la fertilité aux femmes stériles.
Dans la continuité de ce creusement, nous aboutissons à des catacombes privées, donc peu fouillées. Elles seraient datées du Haut Moyen Age, vers l’an 1000 ou avant. C’était peut être la première église dédiée à St Emilion.
Nous relevons le travail minutieux du portail (représentation du Christ-Juge). Présence de trois chapelles en berceau


Eléments d’histoire :
L’une des nombreuses questions restées sans réponse satisfaisante est celle de l’omniprésence de la mort autour et dans St Emilion. Notre guide, JL.Piat pense que de nombreux pénitents ont voulu se faire enterrer à proximité des reliques présentes sur ce lieu de culte afin d’obtenir le salut de leur âme.
D'après de nombreux historiens, le site était occupé dès la période gallo-romaine.
Au VIIIème siècle, une simple grotte aurait abrité le moine bénédictin Emilion qui aurait vécu là en ermite, pendant de nombreuses années, avant d’être rejoint par d’autres moines.
A sa mort (en 767), ses compagnons auraient fait creuser une carrière dans la roche.
Cette excavation serait restée de dimension modeste jusqu’à la fin du XIème siècle, avant qu’un chantier plus vaste ne débuta dès le début du XIIème siècle.
Sous la Révolution, l’église fut utilisée pour produire du salpêtre, occasionnant de grands dégâts sur les peintures murales, dont quelques rares vestiges sont encore visibles.
C’est entre le XIIème et le XVème siècle que le clocher a été construit, exactement au-dessus de l’église rupestre. C’est l’un des clochers les plus élevés de la Gironde (133m) après celui de St Michel à Bordeaux.
Entre le XIIIème siècle et le XIVème siècle, l’église accueille des enfeux(*) sépulcraux.
Au XVème siècle le percement des fenêtres a permis à la lumière de pénétrer le flanc est.
Du XVIème au XVIIIème siècle, l’église se transforme en cimetière. Le sol se comble de fosses.
A partir du XVIème siècle, l’église ne fut plus dédiée à St Emilion mais à St Pierre. Les religieux réguliers abandonnèrent l’église aux habitants de la cité pour s’installer à la Collégiale (plus confortable peut être ?).
Sous la Révolution, le culte cesse.
En 1837, le Cardinal Donnet intervient pour rendre l’église au culte.
En 1840, gravure de Léo Drouyn du beau portail de l’église souterraine.

(*)Saint Emilion : serait né à Vannes au début du 8ième siècle et serait mort en 767. Il se signala très tôt par sa charité et son attention envers les pauvres. Pour échapper à la jalousie de ses contemporains et aux louanges excessives, il aurait décidé de se retirer dans la première forêt qu’il traverserait en se rendant à St Jacques de Compostelle. (Le pèlerinage vers St Jacques de Compostelle débuta vers le Xème, XIème siècle ? problème de concordance des dates) : Ce fut la forêt de Combes à proximité d’un escarpement rocheux et de grottes. Le lieu de cet ermitage serait devenu la ville de St Emilion. Certains historiens pensent qu’un site gallo-romain existait dans ces lieux. La présence du moine Emilion aurait attiré à nouveau de nombreux pèlerins. Il aurait décidé alors d’y installer une communauté qui deviendra rapidement un monastère.

(*)Enfeu : terme d’architecture médiévale : niche funéraire à fond plat.

(*)Les Croisades sont des pèlerinages armés prêchés par le Pape de 1095 à 1291, à destination de la Terre Sainte. Elles ont débuté à la demande du Pape Urban II. D’une manière générale, ce sont toutes les guerres menées contre les infidèles et les hérétiques, gratifiées par le Pape de récompenses spirituelles.


Sources :
Dans le tome II de ses « Annales de l’Ordre de Saint Benoît », Don Mabillon, moine du XVIIème siècle, décrit la vie de St Emilion
Site : Mémoires d’Aquitaine : Histoires et Architecture. Gilles Coyne
Propos de l’intervenant JL.Piat


Eglise souterraine d’Aubeterre sur Dronne.

L’église St Jean d’Aubeterre serait unique en son genre car l’édifice souterrain de grande dimension abrite en son sein une cuve « baptismale » ou fosse à reliques, un reliquaire monumental de type Mausolée, une galerie circulaire (triforium), une nécropole très importante et une crypte qui ne l’est pas moins.

Situé à mi-hauteur de la butte rocheuse qui domine la commune d’Aubeterre-sur-Dronne, l’ouvrage initial était composé de trois nefs orientées Est-Ouest, actuellement disparues à la suite d’écroulements successifs ou de destructions commises pendant la Guerre de Cent Ans. Seules subsistent les bases octogonales qui soutenaient la voûte en berceau.
Le chœur de cette église primitive a disparu lui aussi avec l’écroulement du rocher.

Les dimensions de l’église actuelle sont impressionnantes. La nef s’étend sur 27 m. La largeur de l’ouvrage est de 16 m et la hauteur culmine à 20 m. Ces dimensions font d’elle, avec l’église souterraine de St Emilion, la plus grande d’Europe. Elle est en partie dans son état primitif et présente un pôle d’intérêts archéologique et touristique d’une importance exceptionnelle.
L’église de style roman se compose d’une abside en cul de four, accueillant en son centre un reliquaire taillé dans le rocher dont l’architecture est directement inspirée de celle du Saint Sépulcre de Jérusalem. C’est un monument hexagonal de 6m de haut et de 3m de diamètre, en pierre, solidaire de l’église, composé de deux parties. Il aurait accueilli des dépouilles mais sa fonction reste incertaine encore de nos jours. (tombeau, reliquaire, mausolée ?).
Au début du XIIème siècle, la fille du Seigneur d’Aubeterre a épousé Pierre II de Castillon dont le père chevalier croisé s’était illustré lors de la première croisade. Il aurait ramené à son fils les plans du tombeau du Christ aménagé au IV siècle par l’empereur Constantin.

La nef accueille en son centre une fosse où une réservation taillée directement dans la roche recevait une croix au milieu d’une piscine que certains ont qualifié de « baptismale ». « Ne s’agirait il pas d’une fosse à reliques ? » : s’interrogea Jean Luc Piat. De nouvelles recherches permettraient de connaître la réponse.
Une dalle de béton recouvre actuellement le sol de la nef, sous lequel se trouvent de nombreux sarcophages. La nef fut utilisée à plusieurs reprises comme cimetière. Les pèlerins souhaitaient être enterrés au plus près des reliques. Différentes stations du calvaire du Christ seraient suggérées dans cette église, selon notre guide : le Golgotha, où le fils de Dieu fut mis en croix, la Crucifixion, l’Extrême Onction avant le Tombeau et son entrée au royaume des cieux.

Une galerie, sorte de triforium(*), reliée à la nef par un escalier taillé dans le rocher a été creusée sur trois côtés de l’église à une quinzaine de mètres du sol. Elle se présente sous la forme d’une tribune ouverte permettant d’avoir une vue plongeante spectaculaire sur l’édifice par des arcades en plein cintre. Cette galerie débouchait à l’origine sur l’extérieur, au flanc de la falaise. (sortie murée aujourd’hui).

Visible dans l’angle nord de la galerie, un tunnel reliant le château des seigneurs d’Aubeterre à l’édifice fut creusé. Il semble en fait que cette liaison aurait permis de faciliter l’écoulement des eaux de pluies recueillies sur la butte où est érigé le château.( accès muré car propriété privée).

Coté ouest, séparé de la nef par une porte taillée dans la roche, les visiteurs peuvent admirer une nécropole d’une trentaine de mètres, visible à partir d’un balcon de bois. 80 sarcophages sculptés à même la roche, de tailles différentes (probablement aux dimensions des défunts), anthropomorphes avec réserve céphalique, témoignent d’une activité religieuse certainement antérieure au christianisme. Cette nécropole est reliée à l’extérieur.
Faisant face à la balustrade de protection, la présence d’un four à salpêtre, installé pendant la Révolution rappelle que l’église a été utilisée pour la confection de la poudre à canon de 1794 à 1795. Les nombreux vols de poudre et de matériaux ont condamné cette activité.

Une salle souterraine appelée crypte, découverte par hasard en 1961 (suite à l’effondrement de la chaussée), aurait pu servir au culte de Mithra, déclaré illégal au cours du IVème siècle.


Quelques repères datés :
Au VIème siècle, un texte évoque la présence de moines cénobites (*) occupant l’emplacement actuel du château.
Un texte ancien rapporte que la famille de Castillon est déjà propriétaire du château en l’an 1080, confortant ainsi sa date de construction en l’an 1004.
L’église fut creusée par les Bénédictins de St Maur, au cours du XIIème siècle, profitant rationnellement des grottes ou excavations beaucoup plus anciennes utilisées par les premiers Chrétiens pour pratiquer leur culte en sécurité. La pierre aurait servi à la construction du château
Cette église aurait été destinée à abriter les reliques du Saint Sépulcre ramenées des Croisades par Pierre I de Castillon, propriétaire du château.
Pendant la Guerre de Cent Ans, l’église primitive aurait subi d’énormes dégâts. Au XVIIème siècle, un mur de soutien en moellons est venu sécuriser la partie rupestre encore visible.
En 1794, un four à salpêtre, bâti dans un enfeu, a produit de la poudre à canon.
L’église fermée au culte pendant la Révolution a retrouvé une activité religieuse succincte.
En 1820, destruction du château.
En 1840, à l’ouverture du Mausolée, découverte de quelques cercueils non identifiés.
Au début du XIXème siècle, l’église servit de cimetière municipal jusqu’en 1865, période d’oubli qui s’acheva en 1958 avec le classement de l’église en tant que« Monument Historique ».
En 1961, découverte accidentelle de la crypte.

Quelques curieux du jour ont pu apprécier le charme paisible d’Aubeterre sur Dronne et admirer la magnifique façade de l’église St Jacques bâtie dans un style roman saintongeais du plus bel effet.

(*)Cénobite : les moines cénobites vivent en communauté alors que le moine ermite retiré dans la solitude est un moine anachorète.
(*)Triforium : terme architectural. : dans une église, c’est une galerie étroite, située au dessus des arcades ou de la tribune, ouverte par une suite de baies sur le vaisseau (la nef) ou le chœur.


Sources : Le site des monuments rupestres/Aubeterre sur Drome - Nathalie et Pierre Doreau «De la grotte au temple » - Kto seven doc, écrit et réalisé par Guy Meauxsoone 

Livret explicatif sur l’Eglise St Jean d’Aubeterre. 

Exposé de JL.Piat.

«De la grotte au temple » - Kto seven doc, écrit et réalisé par Guy Meauxsoone 

Livret explicatif sur l’Eglise St Jean d’Aubeterre. 
Dominique Darquest