3 - « Hâtons nous de dessiner, le marteau du démolisseur n’attend pas… » ou la lutte contre le vandalisme



En 1849, scandalisé par la destruction de la petite église romane de La Rivière qu’il a essayé, en vain, de sauver, Leo Drouyn rompt avec la Commission des monuments historiques et ne cessera par la suite de dénoncer sa soumission aux architectes du cardinal Donnet dans la « restauration » d’églises romanes qui se traduit souvent par leur totale ou partielle destruction au bénéfice d’édifices néo-romans ou néo-gothiques munis de clochers pointus.


Dessins de Leo Drouyn, églises romanes de Saint-Loubès, Quinsac, La Rivière
3a - Eglises de Saint-Loubès, Quinsac, La Rivière, aujourd'hui disparues


Grâce aux dessins de Leo Drouyn, a été conservée la mémoire des belles églises disparues de Saint-Loubès ou de Quinsac, du portail de Ste-Croix du Mont ou du clocher de Izon, Dans ce combat, Leo Drouyn s’inscrit dans le courant des « archéologues conservateurs » qui, dans le sillage d’Arcisse de Caumont ou de Napoléon Didron, dénoncent le nouveau vandalisme des architectes « viollet-le-duciens ».


Lettre de Leo Drouyn au Conseil Général, pour la sauvegarde du patrimoine et contre le vandalisme
3b - Lettre au Conseil Général, 1859


Le rapport de Drouyn sur la restauration de la façade de Sainte-Croix de Bordeaux par Abadie – « Lorsqu’on copie un vieux manuscrit, on laisse en blanc les mots qu’on ne peut pas lire, et jamais on ne surcharge les places vides. Respectons les vieux monuments de pierre ; laissons les tels qu’ils nous viennent de nos aïeux ; consolidons les lorsque le besoin s’en fait sentir, mais ne les dénaturons jamais… » – est resté un texte classique du combat contre le vandalisme.


Eau forte de Leo Drouyn, Façade de l’église Sainte-Croix de Bordeaux avant sa restauration par Abadie
3c - Eau-forte, 1845


Rapport sur le projet de restauration de l'église Sainte Croix de Bordeaux, écrit par Leo Drouyn
3d - Rapport sur le projet de restauration de la façade de l'église Sainte Croix de Bordeaux


La destruction du cloître de la cathédrale Saint-André de Bordeaux sera un autre combat perdu. Par la peinture et la gravure, il dénoncera, en artiste, ce « crime archéologique » du cardinal Donnet et de l’architecte Paul Abadie.


Eau forte de Leo Drouyn, Destruction du cloître de la cathédrale de Bordeaux
3e - Cloître de la cathédrale Saint-André de Bordeaux, aujourd'hui détruit


Par ses préoccupations et ses goûts, Leo Drouyn s’inscrit aussi dans ce courant si présent au XIXe siècle de conservation des traces immatérielles d’un monde rural en pleine mutation. Même si le patrimoine linguistique ne lui est pas indifférent – il maîtrise parfaitement le gascon et s’inscrit volontiers dans le courant provincialiste –, c’est au patrimoine vernaculaire qu’il s’attache d’abord comme dessinateur. Certes le monde rural et son pittoresque - les cours de fermes, les scènes paysannes et leur cortège d’animaux - sont à la mode dans les arts et la littérature, mais les dessins sur nature de Drouyn sont passionnants et précieux par le souci d’exactitude de l’artiste, aussi rigoureux ici qu’en archéologie monumentale.


Dessins par Leo Drouyn de hameaux en Lot-et-Garonne aujourd’hui détruits
3f - Dessins de hameaux


Du pays gabaye aux landes girondines ou aux campagnes du Lot-et-Garonne, Leo Drouyn a l’intuition de la fragilité de l’architecture en torchis et pans de bois, des risques de disparition auxquels ces édifices rustiques et leurs édicules utilitaires sont alors confrontés. Dessiner, c’est pour lui faire œuvre de témoin, garder la mémoire des éléments les plus ténus, sauver de l’oubli  ce qui risque de disparaître de manière irrémédiable.

Au-delà du pittoresque, ces gravures - et leurs dessins préparatoires surtout - présentent un exceptionnel intérêt ethnographique par le témoignage qu’elles donnent d’un monde rural en voie de disparition. On retrouve là le naturalisme qui de Georges Sand à Millet ou Rosa Bonheur traverse le siècle, le goût du monde rural et de la nature qui a été celui des artistes de Barbizon, à une époque où les premiers folkloristes tentent de sauver à leur manière la mémoire des parlers et traditions des provinces françaises.

Bernard Larrieu













3a - Dessins par Leo Drouyn de trois églises romanes aujourd’hui disparues : Saint-Loubès, Quinsac, La Rivière (Coll. part.)
3b - Plaidoyer de Leo Drouyn pour la sauvegarde du patrimoine et contre le vandalisme. Lettre au Conseil Général, 1859 (Arch. départ. Gironde)
3c - Façade de l’église Sainte Croix de Bordeaux avant sa restauration par Paul Abadie. Eau-forte de Leo Drouyn, 1845 (Coll. part.)
3d - Rapport de Leo Drouyn condamnant les restaurations de l’église Sainte-Croix par Paul Abadie, 1864 (Coll. part.)
3e - Destruction du cloître de la cathédrale de Bordeaux, eau-forte de Leo Drouyn, 1865 (Coll. part.)
3f - Dessins par Leo Drouyn de hameaux en Lot-et-Garonne aujourd’hui détruits (Coll. part.)