2 - L’invention du patrimoine médiéval de la Gironde



Découvrant le patrimoine de la Gironde à travers son travail pour la Commission des Monuments historiques, Leo Drouyn, qui maîtrise la technique de l’eau-forte, a l’idée, en 1844-45, de publier un premier ouvrage illustré sur le patrimoine médiéval départemental, encore méconnu et parfois méprisé. Comme son titre l’indique (Choix des types les plus remarquables de l’architecture au Moyen-Âge dans le département de la Gironde) c’est un « choix » d’édifices médiévaux, parfois peu connus. Ce premier ouvrage fit sensation et la critique loua la nouveauté d’un travail qui combinait pour la première fois l’exactitude d’un archéologue et le talent d’un artiste.


Eau-forte de Leo Drouyn en 1845, Portail de l’église de Saint-Genès
2a - Portail de l’église de Saint-Genès de Lombaud avec l’artiste dessinant


En 1851, professeur de dessin au collège de La Sauve, Leo Drouyn publie l’Album de la Grande Sauve, première monographie d’archéologie monumentale aquitaine, consacré à l’architecture et la sculpture de la grande abbaye bénédictine  de l’Entre-deux-Mers.
Pendant des années, Leo Drouyn arpente les campagnes girondines, étudiant chaque église et publiant parfois ses études dans diverses revues. Ses Notes archéologiques manuscrites font de lui l’inventeur de l’art roman girondin, et c’est à ce titre qu’Auguste Brutails lui rend hommage dès les premières lignes des Vieilles églises de la Gironde (1912).


Exemple de note archéologique manuscrite de Leo Drouyn
2b - Notes archéologiques


A la fin des années 50, Leo Drouyn fait le projet de présenter les édifices militaires de l’époque anglaise en Gironde, du mariage d’Aliénor à la bataille de Castillon (d’où son titre initial La Guienne anglaise). Dans la préface, il présente de manière pionnière les forteresses primitives, le plus souvent des mottes de terre portant des édifices en bois, antérieurs aux châteaux et maisons fortes qui fleurirent aux XIIIe et XIVe siècles. Avec ses 152 eaux fortes et ses 317 gravures sur bois ou sur zinc illustrant des descriptions analytiques rigoureuses, La Guienne militaire est son chef d’œuvre.
Si l’ordonnancement de l’ouvrage s’inscrit dans un modèle « topférien » revendiqué, « en zig-zag », qui renvoie à une esthétique du voyage d’inspiration romantique, sa méthode d’analyse d’un site ou d’un monument est par contre d’une extrême rigueur. Drouyn s’astreint d’aller toujours du général au particulier, avec une mise en perspective dans le paysage et l’environnement. Puis vient la lecture de l’édifice partie par partie, appuyée de plans et de coupes, l’observation des détails – moulures, appareillage, style des ouvertures, des cheminées ou des voûtes – en fixant la chronologie relative.
Un autre aspect novateur de sa méthode est le croisement des archives de pierre et de papier. Leo Drouyn dépouille les archives, privées ou publiques, ainsi que toute la bibliographie disponible. Croisant ses bases de données archivistiques et archéologiques avec sa banque d’images, il laisse une œuvre qui fait encore autorité et que l’on prend rarement en défaut.


La Guienne militaire (1860-1865), par Leo Drouyn
2c - Guyenne militaire


Dans sa tentative de compréhension des monuments, Leo Drouyn ne peut faire abstraction de leur histoire. Il trouve sa documentation dans la bibliographie alors disponible, mais ce sont les archives publiques et surtout privées qui sont avant tout ses sources favorites. Devenu paléographe, il constitue peu à peu une base de données archivistiques que révèlent les 50 tomes manuscrits légués aux Archives municipales de Bordeaux. Dès 1859,il participe à la publication des Archives historiques de la Gironde – transcription de milliers d’actes inédits dirigée par son ami et cousin Jules Delpit.
Devenu en 1865 membre de la « Commission de publication des archives municipales » de Bordeaux, il entame une seconde carrière, celle d’historien. En 1874, il donne Bordeaux vers 1450, une œuvre pionnière en historiographie urbaine, une sorte d’atlas de la ville telle qu’elle était à la fin du moyen-âge.


Vue de Bordeaux à vol d’oiseau en 1450, eau-forte de Leo Drouyn, 1874
2d - Bordeaux vers 1450

A la suite, en 1881-1882, il publie Les comptes de l’Archevêché de Bordeaux du XIIIe au XIVe siècle, étude, pionnière encore, d’histoire économique et sociale, urbaine et religieuse. Dans le même temps, entre 1876 et 1886, il donne une vaste série de monographies paroissiales dans la partie de l’Entre-deux-Mers qui dépendait du diocèse de Bazas : dans ses Variétés girondines, comme  dans Un coin de l’Entre-deux-Mers, étude de moeurs au XVIIe siècle (1886) ou dans ses notices pour la Revue catholique de Bordeaux, il invente cette manière nouvelle de traiter l’histoire locale.

Bernard Larrieu













2a - Portail de l’église de Saint-Genès de Lombaud avec l’artiste dessinant, eau-forte, Choix des types les plus remarquables de l’architecture au Moyen-Âge…, 1845 (Coll. part.)
2b - Exemple de « note archéologique » manuscrite de Leo Drouyn (Arch. Bordeaux Métropole)
2c - La Guienne militaire (1860-1865) (Coll. part.)
2d - Vue de Bordeaux à vol d’oiseau en 1450, eau-forte couvrant Bordeaux vers 1450, 1874 (Coll. part.)